Depuis plus de 60 ans, l’intelligence artificielle (IA) connaît des progrès rapides, mais elle est largement intervenue « dans les coulisses » pendant de nombreuses années. Au cours de la dernière décennie, elle a alimenté un nombre croissant d’applications de recherche, de commerce électronique, de médias sociaux, de navigation et de vidéo en ligne utilisées au quotidien par des milliards d’utilisateurs, sans que beaucoup ne le sachent.
Tout cela a changé en novembre 2022 avec le lancement du modèle ChatGPT d’OpenAI et, plus tard, de Google Bard et de Microsoft Copilot. Ces trois outils ont contribué à populariser l’IA auprès de centaines de millions d’utilisateurs, d’entrepreneurs et d’entreprises, qui ont commencé à interagir avec elle dans un langage humain naturel. Les activités de placement et la curiosité humaine ont alors explosé, le monde envisageant le potentiel de l’IA comme un moteur supplémentaire d’innovation et de productivité.
À quoi doit-on s’attendre désormais? Les composantes techniques qui sous-tendent l’IA générative vont probablement continuer de progresser à un rythme accéléré. Ces avancées seront alimentées par une innovation continue dans les systèmes informatiques et les grands modèles de langage à finalité générale. Ceux-ci vont à leur tour élargir la gamme de modèles et d’applications d’IA générative mis à la disposition des consommateurs, des développeurs et des entreprises. La technologie et l’infrastructure informatiques vont continuer de se développer pour accompagner les modèles d’IA les plus puissants et évolués. Et à mesure que l’adoption s’accélère et que les utilisateurs et les entreprises imaginent de nouvelles possibilités, l’expérimentation va aller encore plus loin.
Tout au long de ce processus, des décisions majeures devront être prises quant aux données pouvant et devant être fournies en toute sécurité aux modèles et applications d’IA, au déploiement responsable de l’IA et à la façon dont nous pouvons nous assurer que toutes les parties prenantes, y compris les investisseurs, se préparent à l’évolution rapide de la conjoncture.
Voici cinq tendances clés de l’IA à surveiller au cours des 12 à 18 prochains mois :
1. L’IA générative va continuer de gagner en puissance et le coût de son déploiement va baisser
Au cours des 15 dernières années, le coût de l’entraînement des modèles d’IA a diminué. D’après les données de l’institut Epoch AI1, le coût de l’entraînement par opération en virgule flottante (ou « FLOP », une mesure cruciale de la capacité et de l’efficacité de calcul) a baissé de plus de 95 % au cours de la période et il continue de diminuer de façon exponentielle. Il est ainsi plus facile d’entraîner des modèles d’IA toujours plus grands et plus puissants, ce qui ouvre la voie à une nouvelle phase d’expansion qui ne se limitera pas aux modèles d’apprentissage profond. Ces gains vont également permettre de proposer davantage de modèles plus efficaces et paramétrés pour effectuer des tâches précises, comme la synthèse de texte, le codage et la mise en place de robots conversationnels, d’assistants Copilot et d’agents intelligents dans les services à la clientèle. Selon nos estimations, l’ampleur des investissements dans les infrastructures informatiques d’IA devrait continuer de grimper en flèche, passant d’environ 52 G$ US en 2023 à plus de 100 G$ US en 2024. Cette progression sera alimentée par les fournisseurs de services informatique dématérialisée, les grandes entreprises et les États souverains.
À mesure que les investissements augmentent et que les coûts diminuent, on s’attend à une prolifération de nouveaux outils et agents intelligents alimentés par divers modèles d’IA. Ces outils et agents vont ouvrir la voie à une généralisation de l’IA générative auprès des particuliers et des entreprises. Ils stimuleront également de nouveaux investissements dans l’infrastructure de calcul nécessaire à l’IA, dont les centres de données et l’infrastructure informatique dématérialisée qui permettent l’entraînement et le déploiement des applications et agents basés sur l’IA générative.
2. Les organismes devront veiller à préparer leurs données pour l’IA
L’écosystème de l’IA poursuivant son évolution, les modèles généralisés entraînés exclusivement sur des données issues du Web devraient devenir plus largement disponibles. S’ils constituent des socles utiles, ces modèles ne permettent pas de tirer pleinement parti de l’IA générative. Les entreprises, les pouvoirs publics et autres organismes ont la possibilité de valoriser des données privées et propres à leur domaine pour personnaliser les modèles de manière à générer des idées plus pertinentes, productives et différenciées pour leurs besoins particuliers.
Pour que ces modèles fonctionnent, les entreprises devront d’abord examiner de près les données dont elles disposent. Il s’agira de mettre en place des pipelines de données capables de fournir des ensembles de données structurés pour alimenter les modèles d’IA générative. À mesure que les interactions en langage naturel vont contribuer à orienter la constitution des ensembles d’entraînement, le rôle des données non structurées (comme les fichiers texte, les sites Web, les fichiers audio et les images) dans l’entraînement des modèles va aussi devenir plus important.
Pour que tout cela se concrétise, les entreprises devront peut-être réévaluer leurs fournisseurs de données, réexaminer leurs cadres de gouvernance des données pour veiller à l’adéquation des droits d’accès, et établir des mécanismes de protection pour empêcher les fuites de données privées. De plus, les entreprises et les fournisseurs de modèles doivent collaborer pour atténuer les biais potentiels et s’assurer que les réponses sont exactes et pertinentes. Répondre à tous ces besoins peut sembler une tâche colossale, mais c’est une étape cruciale.
Les éléments sont en place pour une adoption croissante de l’IA
3. L’IA générative sera déployée dans un plus grand nombre de secteurs et de processus métiers
Les premières expériences menées avec l’IA générative ont montré des signes prometteurs d’amélioration de la productivité et de l’efficacité. D’après une étude conjointe du BCG et de Harvard, les outils d’IA générative ont permis aux consultants d’effectuer 12 % de tâches créatives en plus, de réduire de 25 % les délais de traitement et d’accroître la qualité des résultats de 40 %. Le rendement du capital investi initial est également intéressant : une étude conjointe de Microsoft et d’IDC a révélé un rendement de 3,50 $ pour chaque dollar investi dans l’IA générative, et un délai de rentabilité moyen de seulement 14 mois.
À mesure que l’IA continue d’investir les applications et de façonner l’exploitation des données dans les entreprises, nous pensons que les sociétés vont suivre l’une des approches suivantes, ou les deux :
- L’approche fondée sur l’IA: Certains choisiront une méthode progressive en utilisant les applications d’IA générative de fournisseurs existants afin d’étoffer les processus établis. Ces outils peuvent être rendus plus efficaces en intégrant des données privées ou propres à un domaine afin d’obtenir des rétroactions plus utiles et de réduire le temps nécessaire à l’exécution des tâches.
- L’approche de priorité à l’IA: Cette approche est plus transformatrice, les flux de travail étant entièrement réinventés ou conçus de manière à intégrer les outils d’IA. Cela peut comprendre des modèles d’entraînement personnalisés pour des tâches précises, comme la création d’assistants Copilot pour les médecins, qui favorisent la documentation de routine.
Ces pistes d’adoption pourraient créer un « cycle vertueux » ou un système d’autorenforcement pour le déploiement de l’IA. Les flux de travail seront d’abord améliorés grâce aux données générées par les interactions entre les humains et l’IA. Mais au fil du temps, les agents intelligents (applications qui peuvent faire des choix et effectuer des tâches par elles-mêmes à partir des instructions de l’utilisateur) pourraient interagir directement avec les modèles, voire entre eux, pour automatiser d’autres portions des processus. Il est alors possible de réalimenter les données générées par les interactions des humains et des agents intelligents afin de perfectionner les modèles.
La mutation profonde de nos interactions avec l’IA pourrait perturber les chaînes de valeur existantes. Par conséquent, les organismes doivent déterminer des lignes directrices appropriées pour encadrer ces interactions, choisir des fournisseurs et faire intervenir l’humain au bon moment (ou intégrer des « contrôles humains »).
4. Les parties prenantes clés devront veiller au déploiement responsable de l’IA
Nous prévoyons que la réglementation de l’IA va continuer d’évoluer à l’échelle mondiale, même si les pays interviendront probablement à des rythmes différents. La question de la souveraineté des données pourrait prendre de l’ampleur, les États cherchant à conserver les données privées sensibles sur leur territoire. Il est également possible que les pays collaborent avec leur écosystème national d’entreprises en démarrage et établies spécialisées dans l’IA afin de stimuler l’offre de ressources essentielles telles que la puissance de calcul. Les entreprises doivent déterminer la meilleure façon de protéger leurs données privées contre les fuites et de gérer les risques liés à la cybersécurité. Elles doivent aussi évaluer comment déployer de façon responsable une IA sincère, utile et inoffensive pour les utilisateurs.
Les pouvoirs publics devront trouver un équilibre entre l’objectif de favoriser l’innovation et la volonté d’atténuer les risques au moyen de la réglementation. Nous surveillerons la façon dont l’ensemble de l’écosystème (dont les pouvoirs publics, les fournisseurs de technologies, les sociétés non technologiques et les consommateurs) collabore pour veiller à une répartition équilibrée des risques et des responsabilités entre les différentes parties prenantes.
Nous pourrions également observer un degré d’autosurveillance au sein de l’écosystème. Les fournisseurs de modèles comme OpenAI, Anthropic, Microsoft et Google ont chacun défini des cadres pour empêcher les modèles de produire des résultats indésirables. Des organismes extérieurs au secteur des technologies élaborent également leurs propres processus internes pour veiller à ce que les résultats soient sans danger pour les employés et les clients à mesure que les modèles sont intégrés dans des cas d’utilisation concrets.
5. Pour tous les acteurs, un état d’esprit d’apprentissage constant sera plus important que jamais
Compte tenu des progrès rapides de l’IA générative, il est possible que certaines compétences perdent de la valeur, voire qu’elles soient remplacées au fil du temps par des assistants intelligents. En revanche, la capacité de compléter le travail intellectuel avec l’IA générative et d’amplifier l’ingéniosité humaine va devenir plus cruciale. Par conséquent, un cycle continu et vertueux de perfectionnement et d’évolution du flux de travail ne fera que gagner en importance. Par extension, il sera essentiel d’attirer et de fidéliser des employés dotés d’un état d’esprit d’apprentissage continu et capables de s’adapter et d’évoluer.
Nous nous attendons à ce que les entreprises et les employés prennent des responsabilités différentes au fil de l’évolution des flux de travail et des rôles. Les entreprises devront investir dans les technologies d’IA. Et elles devront donner à leurs employés les moyens d’expérimenter des façons d’intégrer l’IA à leur travail et de s’efforcer d’accroître l’innovation. Elles peuvent le faire par le biais de tutoriels et de forums de mise en commun des apprentissages.
Les utilisateurs, les travailleurs du savoir et les dirigeants d’entreprise devront trouver des façons de s’approprier ces outils. Leur capacité à apprendre, à s’adapter et à sortir des sentiers battus sera mise à l’épreuve à mesure que les applications grand public en ligne et le travail intellectuel intégreront de plus en plus l’IA générative et les agents intelligents.
D’ailleurs, les sociétés technologiques ne seront pas les seules à ressentir l’incidence de l’IA générative; d’autres industries et secteurs d’activité seront concernés. Les investisseurs devront également comprendre en quoi l’IA générative perturbe les chaînes de valeur existantes. Ils devront être attentifs à l’émergence de nouveaux modèles d’affaires et d’occasions de placement inédites, ainsi qu’aux menaces potentielles pesant sur les modèles d’affaires existants. En plus des principaux catalyseurs de l’IA générative, de nouvelles cohortes de sociétés pourraient apparaître : celles qui génèrent de nouvelles sources de revenus en injectant de l’IA générative dans leurs produits et services, celles qui parviennent à accroître la durabilité des sources de revenus existantes et celles qui constatent une érosion de ces sources de revenus, entre autres.
Les investisseurs doivent s’efforcer de cerner les principaux intrants et facteurs de l’adoption de l’IA générative. Ils doivent comprendre les investissements en technologie et en ressources humaines nécessaires aux entreprises pour intégrer et incorporer l’IA générative dans leurs activités à grande échelle. Enfin, ils doivent s’attacher à mesurer le RCI à long terme afin de justifier le niveau et le rythme des investissements en cours.
Le potentiel de productivité que les entreprises pourraient obtenir en adoptant l’IA générative va rester un point d’intérêt pour les investisseurs. Il convient toutefois d’évaluer la durabilité à long terme des avantages découlant de l’adoption de l’IA générative, en repérant à quel moment l’avantage va probablement se dissiper et à quel moment le gain de productivité est susceptible d’améliorer l’avantage concurrentiel sur le long terme.
Auteur
Nadeem Janmohamed
Directeur général de notre équipe Actions à gestion active en Amérique du Nord
Collaborateurs
Matt Kleffman
Adjoint principal de notre équipe Actions à gestion active en Amérique du Nord
Tianquan Wang
Adjoint principal de notre équipe Actions à gestion active en Amérique du Nord
Crédit pour l’image de couverture :Voilà.
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